CONSTELLATIONS DE COULEURS
Explorant, dans ses dernières toiles, d’autres voies que celles, expressives, du geste, Zuzana Hulka en revient à un vocabulaire plus simple, plus géométrique. De grands ronds jaunes, mauves ou verts s’ordonnent sur un fond blanc, laissant une partie de la toile à nu. Les formes tendent vers le cercle et l’ovale. Les lignes s’épurent. Mais si le vocabulaire paraît simple, les effets que l’artiste en tire sont subtils. Ils produisent sur l’œil un léger envoûtement et enrichissent la contemplation. Selon la touche et la nuance, la tache s’opacifie ou se fait éclatante ; elle joue la transparence sans perdre en intensité. Ici, c’est un reflet de soleil matinal, là, un vert pomme ou la surface mate d’un disque d’ardoise. Les formes vibrent et, passant les unes devant les autres, ouvrent dans la toile une profondeur. Elles gravitent dans l’espace, animées d’une vie mystérieuse. Ce violet avance vers nous et retient le regard par son opacité ; un jaune fluide voltige derrière tandis qu’un rose tendre recule vers le lointain. Et l’on reste longtemps absorbé par le mouvement de la constellation. Difficile de dire quelle est l’humeur dominante du tableau : au premier coup d’œil, une impression de gaieté juvénile nous assaille ; mais bientôt apparaissent des accords plus voilés avec, parfois, une note mélancolique — vite rompue par une couleur franche et vive. Ce qui fait la force des œuvres de Zuzana Hulka, c’est cette complexité, cette mobilité : l’harmonie colorée ménage des sautes inattendues. Impossible de s’en tenir à la surface du tableau : l’œil se promène entre ses espaces échelonnés. Impossible de s’arrêter à un sentiment unique et définitif : la sensibilité parcourt une fine gamme d’états émotionnels. Il n’est pas question cependant de laisser s’exprimer ces émotions de manière directe et brutale. Le langage épuré, la rigueur de la composition les débarrassent de ce qu’elles peuvent avoir de trop circonstanciel, de trop subjectif, et les haussent vers une forme de méditation. Mais si méditation il y a, elle n’est jamais désincarnée : l’art du peintre consiste à donner à ses tableaux un caractère aérien et, tout à la fois, un poids, une densité de la matière qui les ramène vers la terre. Chez Zuzana Hulka comme chez les plus grands maîtres, la toile est une fenêtre ouverte sur l’ailleurs, sur l’intériorité. Elle est un foyer vers lequel convergent le regard et la pensée pour s’y nourrir. Une lucarne de couleurs — source d’émerveillement.
Barbara BOHAC